ATHÈNES (ÉCOLE NÉO-PLATONICIENNE D’)

ATHÈNES (ÉCOLE NÉO-PLATONICIENNE D’)
ATHÈNES (ÉCOLE NÉO-PLATONICIENNE D’)

À l’intérieur du vaste mouvement philosophique que l’on désigne globalement sous le nom de néo-platonisme et qui se développe du IIIe au VIe siècle après J.-C., on distingue des écoles diverses. Fondé à Rome par Plotin, qui y enseigne de 245 à 270, et maintenu vivant sur place par Porphyre et ses successeurs (dont plusieurs passèrent au christianisme, par exemple Marius Victorinus), le néo-platonisme se répandit d’abord en Asie Mineure et spécialement à Apamée et Antioche, où enseigna Jamblique. Celui-ci réussit à amalgamer la métaphysique plotinienne et les théories et pratiques de la théurgie en vogue dans l’Orient grec. Cette synthèse fournit à l’empereur Julien l’Apostat une base doctrinale pour le renouveau de religion païenne qu’il tenta de faire triompher sous son règne (361-363). De cette école syrienne sortirent deux rameaux d’inégale valeur : d’une part, l’école de Pergame, franchement adonnée à la magie et délaissant entièrement le vieux rationalisme grec, et, d’autre part, l’école d’Athènes, qui parviendra à se greffer sur la souche de l’antique Académie de Platon au début du Ve siècle. À peu près au même moment, un autre rejeton paraîtra à Alexandrie, et cette école survivra même à celle d’Athènes pour faire passer au monde arabe vers la fin du VIe siècle tout le capital du néo-platonisme.

1. La tradition philosophique

Depuis Platon, une succession ininterrompue de philosophes assurait à Athènes l’administration de l’école du Maître et l’enseignement du platonisme. Modestes au départ, les biens de l’Académie étaient devenus considérables par les legs de nombreux anciens élèves. Au Ve siècle, les «diadoques» platoniciens disposaient d’un capital qui produisait plus de mille nomismata par an: une petite fortune. Le site de l’Académie, qui avait été dévasté par les invasions de 267, n’était probablement plus très utilisé, et l’enseignement se donnait dans une grande maison située au sud de l’Acropole et comportant un auditorium privé.

Le fonctionnement de l’Académie au cours du IVe siècle est mal connu. Aucun nom ne nous est parvenu, mais nous savons que l’enseignement de la philosophie platonicienne était assuré. L’empereur Julien, Basile de Césarée et Grégoire de Nazianze vinrent y étudier. Vers la fin de ce siècle, deux philosophes d’Antioche, appartenant à l’école néo-platonicienne de Syrie, résidaient à Athènes et devaient y enseigner à côté de l’Académie.

C’est par eux sans doute que le philosophe Plutarque d’Athènes avait été initié au néo-platonisme, lorsqu’il devint diadoque à l’Académie probablement au début du Ve siècle. Avec lui, le néo-platonisme entrait à l’Académie et allait devenir le mouvement philosophique le plus important de la fin du paganisme.

À partir de Plutarque, on possède la liste complète des diadoques platoniciens jusqu’à la fermeture de l’école par Justinien en 529. Cette liste s’établit comme suit : Plutarque ?-432, Syrianus 432-437, Proclus 437-485, Marinus 485-?, Isidore ?-?, Zénodote ?-495 et Damascius 495-529.

Les dates de 437 et 495 sont hypothétiques. La date de 437 pour la mort de Syrianus repose sur le fait qu’il était déjà mort lorsque Proclus acheva son commentaire sur le Timée (439). Celle de 495 est la date approximative de la Vie d’Isidore par Damascius, et l’on peut penser que ce dernier écrivit cet éloge de son prédécesseur au moment où lui-même devint diadoque de Platon. Au surplus, nous n’avons aucune indication sur les productions d’Isidore et de Zénodote, peut-être parce qu’ils furent trop peu de temps en charge pour publier leurs cours.

Le programme des études dans l’école néo-platonicienne d’Athènes était organisé de la façon suivante: pendant deux ans on lisait tout Aristote, ensuite on étudiait les dialogues de Platon, enfin on montrait l’accord entre la théologie platonicienne et les écrits orphiques ou les oracles chaldaïques, considérés comme une écriture sainte. Les dialogues de Platon étaient lus dans un ordre déterminé par la pédagogie: Alcibiade , Gorgias , Phédon , où l’on trouvait les éléments de l’éthique; Cratyle et Théétète , qui fournissaient les rudiments de la logique; Sophiste , Politique , d’où l’on extrayait la physique de Platon; Phèdre et Banquet , qui introduisaient à la théologie; le tout culminait dans le Philèbe et était entièrement repris dans les deux dialogues qui résument toute la philosophie de Platon, le Timée pour la science de la nature, le Parménide pour la théologie. Les étudiants étaient soumis à un enseignement intensif. De Proclus, Marinus nous dit que «le même jour il donnait cinq classes d’exégèse, parfois même plus, écrivait le plus souvent ses sept cents lignes quotidiennes environ, allait en outre visiter les autres philosophes et conversait avec eux, et le soir donnait encore d’autres leçons qui n’étaient pas mises par écrit, et tout cela, après ses longues vigiles d’adoration la nuit et entre ses triples prosternations devant le soleil, à son lever, à son midi, et à son coucher». Voilà le programme d’une vie universitaire extrêmement active!

Pendant le Ve siècle, ce fut l’école d’Athènes qui domina tous les autres centres intellectuels, en particulier Alexandrie: les professeurs qui animaient le Musée d’Alexandrie furent pour la plupart formés à Athènes. Hiéroclès fut le disciple de Plutarque, Hermias, l’élève de Syrianus, et le célèbre Ammonius suivit l’enseignement de Proclus qui, par son intermédiaire, exerça une énorme influence sur l’école d’Alexandrie.

Pour essayer de caractériser le rôle de l’école d’Athènes dans le développement du néo-platonisme, on peut dire que cette école représente, après le syncrétisme de l’école syrienne, un retour à l’étude sérieuse des grands textes philosophiques de Platon et d’Aristote, et la construction systématique d’une théologie païenne.

Le retour à l’étude sérieuse des textes philosophiques se voit dans la création d’une forme littéraire nouvelle, celle du commentaire scientifique. Cette méthode consiste à soumettre le texte à une exégèse littérale en le divisant par péricopes et en expliquant tous les mots, c’est la lexis , qui donnera au Moyen Âge la lectio ou la lectura . Puis on reprend les résultats de cette exégèse dans la theoria qui est une explication et une interprétation du texte étudié (au Moyen Âge : meditatio ). Lexis et theoria sont les deux temps qui rythment les commentaires d’Aristote et de Platon. D’Aristote, nous savons que Plutarque commenta le De anima , Syrianus la Métaphysique , Proclus l’Organon , et nous possédons les immenses commentaires de Simplicius, le dernier des néo-platoniciens athéniens. L’œuvre entière de Platon a aussi été exposée de cette façon, et, en particulier, nous pouvons encore lire la plus grande partie des commentaires de Proclus sur le Timée , le Parménide et l’Alcibiade. Nous avons aussi la fin du commentaire de Damascius sur le Parménide , et de larges extraits de son commentaire sur le Philèbe. Nous savons qu’il a existé dans l’école des commentaires sur tous les dialogues de Platon, composés sur ces modèles.

2. Une théologie platonicienne

Mais cette étude approfondie de Platon a été tout entière orientée vers la constitution d’une théologie païenne systématique. Cette théologie s’appuie sur une exégèse des hypothèses du Parménide par Syrianus, qui consiste à établir une correspondance entre les négations de la première hypothèse et les affirmations de la deuxième, et à lire dans la première hypothèse la théologie négative du premier dieu (l’Un), dans la deuxième l’ordre des propriétés successives qui constituent la hiérarchie des dieux. Il suffira ensuite d’identifier ces entités métaphysiques avec les dieux du panthéon grec pour obtenir la Théologie platonicienne. C’est le titre du grand ouvrage de Proclus: il exprime l’ambition de toute l’école.

Pour assurer les fondements métaphysiques rigoureux de cette théologie, Proclus compose des Éléments de théologie , qui, à la manière des Éléments d’Euclide, établissent par un enchaînement continu la suite des principes de cette théologie. Cette forme axiomatique est elle aussi une forme littéraire nouvelle en philosophie, et sera promise à une belle fortune jusqu’à Spinoza. Elle est la base de cette Théologie platonicienne que Proclus lui-même résume ainsi: «Je diviserai ce traité en trois parties. Au début, je ferai la collection de toutes les notions générales relatives aux dieux et j’examinerai la signification et la valeur des propositions fondamentales pour chaque degré de la hiérarchie; au milieu du traité, j’énumérerai tous les degrés de la hiérarchie divine, je définirai leurs attributs propres et leurs processions, et je ramènerai tout aux principes fondamentaux élaborés par les théologiens; à la fin, je traiterai des dieux, tant hypercosmiques qu’encosmiques, qui ont été célébrés d’une manière dispersée dans les écrits de Platon, et je rapporterai leur étude aux classes universelles de la hiérarchie divine.» Ainsi est élaborée par Proclus la hiérarchie des dieux qui comprend neuf degrés: l’Un, premier dieu; les hénades; les dieux intelligibles; les dieux intelligibles-intellectifs; les dieux intellectifs; les dieux hypercosmiques; les dieux encosmiques; les âmes universelles; les anges, démons et héros.

Une importante évolution devait se dessiner ensuite à l’intérieur de l’école avec Damascius. Ce dernier refusait de nommer Un le premier dieu, et par là il niait qu’il soit possible de penser et de nommer le principe premier. Au-dessus de l’Un, il voulait remonter à l’Indicible. C’est la thèse antiproclienne qu’il expose tout au long de son traité Sur les principes. Par là, Damascius se présente comme le fondateur des théologies de la connaissance non objective de Dieu.

Cette extraordinaire création de la théologie systématique païenne dans l’école d’Athènes fut aussi l’occasion de sa chute. La réussite de cette entreprise posait en effet la théologie athénienne comme une rivale de la théologie chrétienne. Les compromissions avec la magie et l’astrologie des adeptes de cette théologie païenne devaient la rendre tout à fait suspecte. Ce fut la raison pour laquelle l’empereur Justinien décida finalement de fermer purement et simplement l’école d’Athènes en 529. Les philosophes de l’école s’exilèrent en Perse pendant plusieurs années et ne reprirent jamais l’enseignement à Athènes. C’est, semble-t-il, à titre privé que Simplicius, le dernier représentant de cette école, écrivit à son retour de Perse ses grands commentaires sur Aristote, qui sont toujours remplis de la doctrine théologique néo-platonicienne, création de Proclus et de Damascius.

Toutefois, le bénéfice de la rigueur métaphysique en théologie ne fut pas entièrement perdu pour la pensée chrétienne. Dépendant directement de Proclus, l’auteur des écrits pseudo-dionysiens fit passer dans son œuvre les principes de la Théologie platonicienne. Par lui, le Moyen Âge a reçu un rayon lumineux de cette école néo-platonicienne d’Athènes.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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